La solitude (de solus « seul ») est l’état, ponctuel ou durable, d’un individu seul qui n’est engagé dans aucun rapport avec autrui. La solitude n’a pas le même sens selon qu’elle est choisie ou bien subie. Ainsi, l’état d’isolement ou d’éloignement vis-à-vis d’autrui peut avoir des effets bénéfiques sur l’individu, mais aussi néfastes. La solitude a également été décrite comme une souffrance sociale — un mécanisme psychologique alertant un individu d’un isolement non-désiré et le motivant à chercher une connexion sociale
**********************************************************
La maison solitaire
Seule, en un coin de terre où plane la tristesse
Et le mélancolique et vague ennui des soirs,
La vieille maison blanche, aux grands contrevents noirs,
Pleure-t-elle ses gens, son hôte, son hôtesse ?
Avec sa porte close et ses carreaux en deuil
Qui ne semblent, au loin, qu’un vaporeux décalque,
La maison blanche et noire a l’air d’un catafalque
Érigé sur le vide et la nuit d’un cercueil.
À la croix des pignons tachés d’ocre et de suie,
Comme un crêpe fané, la mousse vole au vent,
Et l’on dirait, parfois, qu’il tombe de l’auvent
Une neige de cendre et des larmes de pluie.
Trois générations ont peiné dans ce lieu :
Trois générations de laboureurs de terre
Ont vécu longuement le rêve solitaire,
Qui commence à l’autel et finit devant Dieu.
Tout semble mort… Soudain, la vitre qui brasille
S’ouvre, et, tel qu’au matin, brille un coquelicot,
Une face vermeille apparaît, et l’écho
Éparpille un fredon d’enfant qui s’égosille.
Rouge d’orgueil, le fier petit gars d’habitant,
Que le ber ancestral a couvé dans la paille,
Du jeu d’un gosier d’or, éblouit la marmaille
Et fait taire le merle et le coq éclatant.
Et la vieille maison, tant de fois attristée
Par le glas et l’adieu des funèbres convois,
Reprend jeunesse et vie au seul son de la voix
Qui conjure l’ennui, dont son âme est hantée.
Le vieil âge n’est plus. Voici le jeune temps :
L’aurore entre malgré la fenêtre morose ;
La chambre se plafonne et se meuble de rose ;
La maison recommence à vivre ses vingt ans.
Et le chef du travail, dehors à coeur d’année,
Bénit l’horizon clair et le soleil levant,
Le nuage et l’oiseau, la rosée et le vent,
Qui lui promettent tous une belle journée.
Nérée Beauchemin
*******************************************************************
L’isolement
Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
Ici, gronde le fleuve aux vagues écumantes ;
Il serpente, et s’enfonce en un lointain obscur ;
Là, le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l’étoile du soir se lève dans l’azur.
Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon,
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l’horizon.
Cependant, s’élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs,
Le voyageur s’arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.
Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N’éprouve devant eux ni charme ni transports,
Je contemple la terre ainsi qu’une ombre errante :
Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts.
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l’immense étendue,
Et je dis : « Nulle part le bonheur ne m’attend. »
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé.
Que le tour du soleil ou commence ou s’achève,
D’un oeil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu’il se couche ou se lève,
Qu’importe le soleil ? je n’attends rien des jours.
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts ;
Je ne désire rien de tout ce qu’il éclaire,
Je ne demande rien à l’immense univers.
Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d’autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j’ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !
Là, je m’enivrerais à la source où j’aspire ;
Là, je retrouverais et l’espoir et l’amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n’a pas de nom au terrestre séjour !
Que ne puis-je, porté sur le char de l’Aurore,
Vague objet de mes vœux, m’élancer jusqu’à toi !
Sur la terre d’exil pourquoi restè-je encore ?
Il n’est rien de commun entre la terre et moi.
Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s’élève et l’arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !
Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques
*******************************************************************
Solitude Subite
Solitude lunaire
Culpabilité exécrable
Sentiment de vide rattrapé par les vomissements de l’esprit
Je me respire
Peuplier du désert naufragé dans le sable
Organisme Génétiquement Modifié
Néant impuissant
Médisance sournoise
Je ne crois plus dans le remplissage
le vide reste, ici, toujours, pour toujours.
Je suis seule
les yeux fermés
une seconde
Sybille Rembard, 2008
***********************************************************************
Quête
J’ai faim
d’un moment d’attention
m’ouvrant un horizon
que je mendie sans fin.
J’ai faim
de ce regard d’autrui
m’offrant comme un crédit
lorsque tout tourne à rien
J’ai faim
J’ai faim et je m’emplis
d’un rêve inaccompli.
Mon espoir est-il vain ?
J’ai faim
Et ma faim ne s’apaise.
Et mon air très à l’aise
ne me trahira point.
Esther Granek, Synthèses, 2009
**************************************************************************
Absences
Tout proche de l’interlocuteur
et pourtant loin, l’esprit ailleurs,
comme en un voyage m’évadant,
je suis là, présent et absent,
hochant la tête de temps en temps.
Tout proche de l’interlocuteur
et pourtant loin, l’esprit ailleurs,
combien de fois ai-je trahi
quand je semblais, yeux et ouïe,
attentif à mon vis-à-vis ?
Esther Granek, Ballades et réflexions à ma façon, 1978
*************************************************************************
Aux arbres
Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme!
Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous! – vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
La contemplation m’emplit le coeur d’amour.
Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l’oeil dans l’herbe profonde,
L’étude d’un atome et l’étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu!
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence!
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, – je vous atteste, ô bois aimés du ciel! –
J’ai chassé loin de moi toute pensée amère,
Et mon coeur est encor tel que le fit ma mère!
Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des autres sourds,
Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives!
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime!
Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m’endormirai.
Victor Hugo